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CHAPITRE 1 : L'HISTORIEN ET LES MEMOIRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

16 Juin 2016 , Rédigé par Laurent Boscher Publié dans #CHAPITRES (H)

CHAPITRE 1 : L'HISTORIEN ET LES MEMOIRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALECHAPITRE 1 : L'HISTORIEN ET LES MEMOIRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Introduction : « Histoire et mémoire, deux notions distinctes »

L’histoire désigne la discipline consistant à exposer des événements passés, chacun analysé et contextualisé au terme d’une étude critique des sources (écrites, orales ou filmiques). L’écriture de l’histoire, par des historiens professionnels, obéit à ce que l’on appelle la méthode historique : il s’agit d’une méthode scientifique, au sens où elle est soumise à des règles strictes. Toute étude historique, pour être validée, c’est-à-dire faire autorité dans la communauté intellectuelle, doit réunir des témoignages contradictoires afin de parvenir, sinon à la vérité, du moins à l’objectivité et à l’impartialité.

La mémoire, elle, contrairement à l’histoire, ne prétend pas être une discipline obéissant à des règles strictes visant à parvenir à une vérité scientifique reposant sur l’objectivité et l’impartialité. Elle est plutôt l’expression d’une volonté politique ou sociale (portée par un individu, un groupe ou un Etat) de privilégier un pan de l’histoire, qui satisfait une revendication catégorielle, à l’exclusion de toutes les autres. La mémoire, à l’inverse de l’histoire, qui se veut objective, est donc subjective. Alors que l’histoire est écrite au nom de la vérité scientifique, la mémoire est conçue au nom de la défense d’un intérêt, public ou privé, général ou particulier, national ou communautaire, moral ou économique, individuel ou collectif.

Naturellement, les deux notions s’entremêlent parfois : par exemple, lorsqu’un historien professionnel, arguant de sa réputation d’expert, profite de son magistère moral pour faire triompher une cause qui lui tient à cœur, au mépris de l’objectivité ; ou encore, dans le sens inverse, lorsque la défense de la mémoire d’une communauté, jusqu’alors négligée par l’histoire, parce que les historiens s’y sont encore peu intéressés, repose sur des faits avérés, à la fois contradictoires et contextualisés. Dans ces deux cas, les deux concepts, histoire et mémoire, se confondent largement.

Au cours du XXe siècle, en France, deux événements historiques sont entrés dans ce que l’on appelle la mémoire collective : d’une part, la Seconde Guerre mondiale ; de l’autre, la guerre d’Algérie. Au lendemain de ces deux conflits, plus encore que la vérité, parfois blessante, c’est l’intérêt national qui prévaut : « Taire ce qui divise et célébrer ce qui unit », devient le maître-mot. C’est assez dire que, avant de faire son entrée dans les livres d’histoire, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et celui de la guerre d’Algérie sont entrés dans les mémoires. Dans ce chapitre, cependant, seule sera étudiée la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ou, pour être plus précis, les mémoires de la Seconde Guerre mondiale ; car, du conflit planétaire, selon l’époque, l’appartenance communautaire ou idéologique, tout le monde n’a pas le même souvenir.

C’est que, au cours de la Seconde Guerre mondiale, comprise entre 1939 et 1945, la France est divisée en deux camps opposés : d’un côté, la France légale, celle du maréchal Pétain, officiellement qualifiée Etat français, officieusement gouvernement de Vichy, lieu d’implantation de son gouvernement, favorable à une politique de collaboration avec le IIIe Reich, dont les soldats occupent le territoire national depuis juin 1940, après la débâcle militaire française au cours du mois de mai précédent ; d’un autre côté, la France illégale, celle du général de Gaulle, réfugié à Londres, favorable à une politique de résistance vis-à-vis de l’occupant nazi et de désobéissance vis-à-vis du maréchal Pétain.

Aussi longtemps qu’ont duré la guerre mondiale et l’occupation du territoire par les Allemands, collaborateurs et résistants français se sont livrés une guerre civile sanglante, à l’origine de haines franco-françaises à la fois vives et profondes. Voilà pourquoi, après 1945, les Français, soucieux de préparer l’avenir, désireux aussi de pouvoir assumer le passé, ont éprouvé le besoin de connaître la vérité sur leurs années de guerre, en particulier sur Vichy et le Génocide.

I - LA MEMOIRE DU GOUVERNEMENT DE VICHY

La mémoire collective, relative au comportement des Français vis-à-vis du gouvernement de Vichy au cours de la période 1940-1944, a retenu deux périodes bien distinctes : au cours de la première période, qui s’étend de 1945 à 1971, les Français, selon la doctrine officielle, sont tous - ou presque - présentés comme des résistants héroïques ; au cours de la seconde période, en revanche, qui s’étend de 1971 à nos jours, les Français sont tous - ou presque - dépeints, par la littérature comme par le cinéma, sous les traits de collaborateurs dévoués.

A - Un pays de « résistants » (1945-1971)

En 1945, au moment où le monde baigne dans l’allégresse d’une guerre qui s’achève, la France, désireuse de ne pas bouder le plaisir que lui offre sa propre libération, se dote d’une mémoire officielle, destinée à panser ses cicatrices plutôt qu’à raviver la douleur de ses plaies. Selon cette théorie, soutenue par les deux grandes forces politiques de l’après-guerre, gaullistes aussi bien que communistes, l’immense majorité des Français, indisposés par l’occupation nazie, est entrée spontanément en résistance de manière héroïque.

Pour les gaullistes, soucieux d’éviter le déclenchement d’une guerre civile, la priorité, après quatre années d’Occupation, est de favoriser l’union nationale autour d’un passé qui rassemble plus qu’il ne divise. Dans ce but, le gouvernement de Vichy, l’Etat français, le maréchal Pétain sont présentés, par le général de Gaulle, comme une « parenthèse » dans l’histoire de France, une « absurde anomalie » subie et finalement rejetée par l’immense majorité de la population, légitimement fière de sa réaction.

Pour les communistes, soucieux de faire oublier le pacte germano-soviétique conclu entre Hitler et Staline en 1939, la priorité est de rappeler la part décisive qu’ils ont prise en France dans la résistance au nazisme depuis 1941, tout en distinguant deux France, l’une honteuse constituée par une petite élite bourgeoise entrée en collaboration, l’autre glorieuse formée par une immense majorité d’ouvriers entrés en résistance.

A partir de 1947, toutefois, du fait de la naissance de la Guerre froide, le consensus entre gaullistes et communistes vole en éclats. Il s’agit désormais de faire triompher aux dépens de l’autre sa propre version de l’histoire de la Résistance.

Les gaullistes, tout en dénonçant exagérément les 100.000 exécutions sommaires survenues lors de l’épuration sauvage du fait des communistes ainsi que la (pseudo-)tentative de coup d’Etat bolchevique ourdie au même moment, insistent sur le rôle des grands hommes de la Résistance, au premier rang desquels figurent naturellement de Gaulle, l’homme du 18 juin 1940, mais aussi son homme de confiance, Jean Moulin, dont les cendres, le 19 décembre 1964, vingt ans après la Libération, sont transférées au Panthéon, en guise d’ultime hommage rendu au martyr de la nation par le général devenu entre-temps président de la République (1958-1969).

Les communistes, eux, sans renoncer à rendre hommage aux grands noms de la Résistance, parmi lesquels Danielle Casanova, Pierre Brossolette et le colonel Fabien, insistent davantage sur le rôle prépondérant du peuple, de la classe ouvrière, des petits, des sans-grade, bref des anonymes. C’est à cette même époque que le Parti communiste français se forge l’image du parti martyr, inventant alors le mythe des « 75.000 fusillés » communistes, quand bien même le nombre total de civils français exécutés par les Allemands ne dépasse pas 31.000 tandis que celui des résistants de l’intérieur tombés au combat est estimé à 20.000.

Jusqu’à la fin des années 1960, cependant, le résistancialisme demeure la doctrine nationale. Gaullistes et communistes ont beau se livrer la « guerre des mémoires », l’idée selon laquelle la France et les Français n’ont pas à rougir de leur passé continue de l’emporter. A partir du début des années 1970, en revanche, la mémoire nationale est revisitée. La légende rose laisse place à la légende noire et la France des « héros » à la France des « collabos ».

B - Un pays de « collabos » (1971...)

Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ne ressemblent en rien à ceux de la Première. A l’inverse de la Grande Guerre, en effet, au terme de laquelle les Poilus, quand ils ont survécu à l’enfer des tranchées, sont accueillis comme des héros victorieux auxquels la patrie rend hommage par des monuments aux morts, les soldats français de 1940, quand ils reviennent de captivité, après avoir été battus en trois semaines, sont perçus comme des antihéros vaincus, auxquels la nation embarrassée peine à rendre les honneurs. Pas de monuments spécifiques, pas de célébrations nationales, seulement quelques lignes ajoutées sur les monuments aux morts déjà existants et le choix en 1953 d’un jour férié tardivement retenu, celui du 8 mai[1], parce que, après bien des hésitations, le pays doit tout de même se souvenir de ce que certains s’efforcent pourtant d’oublier.

C’est que, pendant les années de guerre, les Français, dans leur immense majorité, n’ont été ni héroïques ni résistants. Ils ont été ce que sont les hommes au cours des périodes troublées : apeurés, indifférents ou lâches, lorsqu’ils sont étrangers à toute conviction politique ; fidèlement ou fanatiquement dévoués, lorsqu’ils sont animés de convictions idéologiques profondément ancrées. En France, les résistants, une poignée de gaullistes en 1940, sensiblement élargie en 1941 par la venue des communistes du fait du changement d’alliance de l’URSS, voient leurs troupes grossir à compter du moment opportun où la victoire des Alliés semble se dessiner d’une manière définitive, tandis que, à l’inverse, les collaborateurs, maréchalistes pour certains, pétainistes pour d’autres, voient le soutien des Français mollir à mesure que la défaite approche.

Voilà pourquoi, dès les années 1950, la France, si sévère avec les « quelques » collaborateurs lors de l’immédiat après-guerre, se montre plus compréhensive envers eux, à mesure que leur nombre croît et que la vérité éclate. En 1951, la loi du 5 janvier accorde l’amnistie à ceux qui ont été condamnés à l’indignité nationale ou à une peine d’emprisonnement inférieure à quinze ans. En 1952, Antoine Pinay, chef du Centre national des indépendants (CNI), accède à la présidence du Conseil, malgré sa participation au régime de Vichy. En 1953, lors du procès de 21 membres de la division SS Das Reich, jugés en France pour le massacre d’Oradour-sur-Glane[2], 13 Malgré-nous alsaciens, condamnés, sont finalement amnistiés rapidement. En 1954, Robert Aron, dans un livre qui fera longtemps autorité, Histoire de Vichy, développe une thèse aux termes de laquelle de Gaulle aurait été « l’épée » de la France, alors que Pétain en aurait été « le bouclier ». Conclusion : les Français n’ont pas tous été des résistants et, en raison des circonstances troublées de la guerre, il convient de renoncer à une répression aveugle aux dépens de ceux qui auraient collaboré.

Au début des années 1970, après le départ de l’Elysée du général de Gaulle (1969) suivi de sa mort (1970), la thèse officielle du « résistancialisme », après vingt-cinq années de bons et loyaux services, s’effrite sous le poids des accusations.

Le cinéma joue un rôle important dans ce tournant. Après les films qui contribuaient à entretenir l’image d’une France héroïque, comme La Bataille du Rail de René Clément (1945) ou L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969), le documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, démythifie en 1971 l’image d’une France unanimement résistante. Censuré à la télévision jusqu’en 1981, ce film montre que des Français ont choisi, en toute conscience, le camp de la Collaboration et même pour certains celui du nazisme, ouvrant ainsi la voie à d’autres fictions mettant à nue les cicatrices françaises, telles Lacombe Lucien (1974), Section spéciale (1975), L’Affiche rouge (1976), Le Dernier métro (1980) ou encore Papy fait de la résistance (1983).

La littérature historique, elle aussi, n’est pas en reste. En janvier 1973, les éditions du Seuil font paraître un ouvrage publié aux Etats-Unis l’année précédente, La France de Vichy. L’auteur, Robert Paxton, montre que Vichy, loin d’être un bouclier contre le nazisme, a au contraire insisté auprès des Allemands pour qu’ils acceptent une politique de collaboration, dès 1940. Depuis lors, au nom du devoir de mémoire, les ouvrages consacrés aux années noires de l’Etat français se sont multipliés et avec eux les témoignages sur « Vichy, un passé qui ne passe pas » (1994), selon la formule de l’historien Henry Rousso, auteur également du Syndrome de Vichy (1987).

Au final, du fait de ces révélations, la France, depuis les années 1990 surtout, s’est mise à regarder son passé en face : d’une part, en traduisant devant ses tribunaux certains des responsables de la Collaboration, accusés de crimes contre l’humanité (Touvier, Bousquet, Papon) ; d’autre part, en reconnaissant sa responsabilité dans l’arrestation d’hommes, de femmes et d’enfants, morts à cause de « la folie criminelle de l’occupant (...) secondée par des Français, par l’Etat français » (J. Chirac, 1995).

II - LA MEMOIRE DU GENOCIDE

La mémoire française du génocide accompli pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis et les collaborateurs aux dépens des Juifs a connu elle aussi, comme la période de Vichy, deux périodes bien distinctes : tandis que, au cours de la première période, qui s’étend de 1945 à 1961, le sort réservé aux Juifs par le IIIe Reich n’est pas distingué de celui réservé aux autres adversaires du régime nazi ; au cours de la seconde période, à l’inverse, qui s’étend de 1961 à nos jours, la spécificité du sort réservé aux dépens des Juifs, occultée jusqu’alors, finit par être admise et reconnue par les autorités politiques françaises elles-mêmes.

A - Un drame parmi d’autres (1945-1961)

En 1945, les 2.500 Juifs français qui reviennent dans leurs familles, après plusieurs mois ou années de déportation, ne sont pas distingués des autres prisonniers français de retour de captivité.

D’abord, parce qu’eux-mêmes, après avoir vécu l’invivable, éprouvent les plus grandes difficultés à communiquer sur l’horreur des camps et, plus encore, à faire comprendre à leurs interlocuteurs ce qu’ils ont véritablement enduré. Primo Levi, Juif italien rescapé d’Auschwitz, évoque en 1947 dans son célèbre livre Si c’est un homme le cauchemar de ces survivants qui, à leur retour, témoignent sans être entendus, racontent sans être écoutés, y compris par leurs proches dans les yeux desquels transparaît parfois le sentiment de culpabilité de ceux qui ont échappé à la mort.

Ensuite, parce que la France, « une et indivisible », selon la formule consacrée, n’entend pas distinguer parmi ses citoyens différentes catégories de victimes, séparées entre elles dans la balance des malheurs de guerre par le poids de leurs souffrances respectives. Ainsi, le premier documentaire français spécifiquement consacré aux camps de détention, Nuit et Brouillard, réalisé en 1956 par Alain Resnais, n’évoque ni le sort particulier réservé aux déportés juifs, ni même la distinction entre camp de concentration (Buchenwald) et camp d’extermination (Auschwitz).

Voilà pourquoi, au sortir de la guerre, la France ne commémore par aucune cérémonie spécifique le souvenir du génocide juif, préférant réserver aux déportés politiques (résistants) plutôt qu’aux déportés raciaux (Juifs) les distinctions honorifiques dues aux héros plus encore qu’aux victimes.

B - Un drame spécifique (1961...)

La spécificité du sort réservé aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, occultée pendant les décennies 1940 et 1950, est soulignée à la faveur de quatre événements qui surgissent au cours des années 1960 et 1970 :

- En premier lieu, la parution en 1961 du livre de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, grâce auquel le monde apprend la volonté secrètement exprimée par les dignitaires du régime nazi réunis à la Conférence de Wannsee en 1942 de procéder à la « Solution finale de la question juive », c’est-à-dire à l’extermination de tous les Juifs vivant en Europe.

- En second lieu, la comparution en Israël, en 1961, après quinze ans de clandestinité en Argentine, du responsable nazi de la mise en œuvre de la Solution finale, Adolf Eichmann, condamné par le tribunal de Jérusalem à la peine de mort par pendaison.

- En troisième lieu, la guerre israélo-arabe des Six-Jours qui en 1967 renforce, dans la diaspora française, le sentiment d’appartenance à la communauté juive, de nouveau menacée d’anéantissement.

- En quatrième lieu, enfin, le développement à partir de 1978 de thèses négationnistes défendues, d’un côté, par un octogénaire exilé en Espagne, Louis Darquier de Pellepoix, commissaire aux « questions juives » du gouvernement de Vichy, pour qui « à Auschwitz, on a gazé que les poux » (L’Express, 23 octobre 1978), et, d’un autre côté, par l’universitaire lyonnais Robert Faurrisson, selon lequel « le prétendu gazage et le prétendu génocide juif ne sont qu’un seul et même mensonge historique », une « escroquerie », dont les principaux bénéficiaires seraient l’Etat d’Israël et les Juifs du monde entier.

Ce sont ces quatre événements qui incitent la communauté juive de France à revendiquer la mémoire du génocide plutôt qu’à en occulter la singularité. La diffusion en 1979 du téléfilm américain Holocaust, la sortie en 1985 du film-documentaire français de Claude Lanzmann Shoah, ainsi que la traque à laquelle se livrent désormais des « chasseurs de nazis » comme l’avocat français Serge Klarsfeld pour retrouver la trace d’anciens responsables du génocide, souvent cachés en Amérique du Sud, permettent de souligner la spécificité du sort réservé aux Juifs, non seulement par le IIIe Reich mais aussi par le gouvernement de Vichy.

Résultat ? Après des années de silence, la France, soucieuse de rattraper le temps perdu, multiplie, depuis 1990, les lois mémorielles envers la communauté juive. Parmi ces actes de repentance figurent :

- en 1990, l’adoption de la loi Gayssot qui réprime par une sanction pénale toute « négation des crimes contre l’humanité » ;

- en 1993, l’adoption par François Mitterrand d’un décret faisant du 16 juillet la journée nationale commémorative des persécutions antisémites commises sous l’autorité de l’Etat français ;

- en 1994, l’inauguration d’un monument commémoratif (lieu de mémoire) à l’emplacement du Vélodrome d’Hiver, en mémoire des 13.000 victimes de la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942 ;

- en 1995, la reconnaissance par le président de la République, Jacques Chirac, de la responsabilité de la France dans la mise en œuvre du génocide par les nazis ;

- en 2005, l’inauguration à Paris d’un Mémorial de la Shoah, en souvenir de toutes les victimes juives de l’Etat français ;

- en 2007, enfin, l’hommage national rendu aux Justes de France, qui par leur courage ont contribué à sauver des vies juives menacées.

VOCABULAIRE
Introduction

Collaboration : politique de coopération économique et politique pratiquée par un Etat vaincu avec un Etat occupant.

Mémoire collective : mémoire populaire qui se nourrit des mémoires individuelles, des mémoires communautaires et de la mémoire officielle. Elle se transmet, est subjective et mouvante.

I/ La mémoire de Vichy

Amnistie : mesure légale qui annule les inculpations pour des catégories précises de crimes. Les lois d’amnistie participent d’une politique de l’oubli.

Années noires : expression employée par les historiens pour qualifier la période 1940-1944 marquée par l’occupation allemande et le régime de Vichy.

Crime contre l’humanité : désigne des « actes inhumains » et toutes les formes de persécution, notamment raciales, perpétrées contre les populations civiles. Ces crimes sont imprescriptibles, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être effacés.

Devoir de mémoire : expression apparue dans les années 1990, qui désigne l’obligation d’entretenir le souvenir des souffrances endurées par les victimes et de réparer le préjudice moral et matériel qu’elles ont subi.

Epuration : action visant, à la Libération, à écarter de la vie politique et sociale les personnes accusées de collaboration avec le Reich allemand. En France, on distingue l’Epuration « spontanée » (ou « sauvage ») qui frappe les civils soupçonnés de collaboration et a lieu (pour les trois quarts) alors que le pays n’est pas encore libéré, et l’Epuration « légale », mise en place à l’automne 1944, qui sanctionne la collaboration politique et militaire.

Epuration sauvage : répression spontanée illégale, prenant la forme d’arrestations, de violences physiques, parfois suivies d’une exécution capitale après un simulacre de procès.

Indignité nationale : peine prononce contre les collaborateurs, visant à leur ôter les droits civiques (l’éligibilité ou le droit de vote) et qui comprend aussi l’exclusion de la fonction publique, des entreprises de presse et des associations professionnelles.

Malgré-nous : nom donné aux 130.000 Alsaciens-Lorrains incorporés de force dans la Wehrmacht et dans les unités d’élite de la Waffen SS à partir de 1942. Les déserteurs ont été fusillés, internés dans les camps de concentration et les biens de leurs familles confisqués.

Maréchaliste : individu attaché à la personne du maréchal, en raison de son passé héroïque et du rôle de bouclier qu’il joue en 1940.

Mémoire officielle : ligne de mémoire définie par les hommes d’Etat ; elle s’exprime surtout à travers les commémorations.

Pacte germano-soviétique : signé par l’URSS et l’Allemagne le 23 août 1939, ce traité proclame que les deux puissances ne se feront jamais la guerre.

Pétainiste : individu attaché à la politique du gouvernement de Vichy plus encore qu’à la personne du maréchal Pétain.

Résistancialisme : mythe d’une résistance unie, héroïque, précoce et massive.

Syndrome de Vichy : expression de l’historien Henry Rousso évoquant les difficultés rencontrées par la société française pour assumer le traumatisme que furent l’Occupation et la Collaboration de 1945 à nos jours.

II/ La mémoire du génocide

Diaspora : ensemble des communautés juives dispersées dans le monde, vivant en dehors de l’Etat d’Israël.

Génocide : du grec genos, « race », et du latin caedere, « tuer ». Terme forgé en 1944 par le juriste américano-polonais Raphaël Lemkin pour désigner la pratique de l’extermination des nations et des groupes ethniques par dépérissement et assassinat. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 6 millions de Juifs ont été assassinés (dont 76.000 originaires de France, soit 25 % de la communauté).

Juste : titre attribué depuis 1953 par le Mémorial Yad Vashem de Jérusalem aux personnes non juives ayant, au péril de leur vie, sauvé des Juifs de l’extermination nazie. 3.331 Français l’ont reçu au 1er janvier 2011.

Lieu de mémoire : selon l’expression popularisée par l’historien Pierre Nora, lieu, objet ou symbole important pour la construction de la mémoire nationale.

Lois mémorielles : lois qui, sur certains sujets, établissent des vérités historiques officielles et visent à réprimer ceux qui les nient ou les falsifient.

Négationnisme : ensemble des thèses persistant à nier la réalité du génocide des Juifs.

Rafle du Vel d’Hiv : les 16 et 17 juillet 1942, 13.152 Juifs (dont 4.115 enfants) d’origine étrangère vivant en région parisienne sont arrêtés par la police française et regroupés au Vélodrome d’Hiver et à Drancy, d’où ils seront déportés vers Auschwitz.

Repentance : acte par lequel une institution (Etat, entreprise, etc.) reconnaît officiellement une faute commise dans le passé.

Shoah : terme hébreu signifiant « catastrophe ». C’est le film Shoah de Claude Lanzmann qui assure la diffusion de ce terme pour désigner le génocide des Juifs.

CHRONOLOGIE
1939

1er septembre : invasion de la Pologne par la Wehrmacht (début de l’offensive à l’Est).

3 septembre : déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à l’Allemagne.

1940

10 mai : invasion des Pays-Bas et de la Belgique par la Wehrmacht (début de l’offensive à l’Ouest).

13 mai : Sedan aux mains des troupes allemandes.

14 juin : entrée de la Wehrmacht dans Paris.

16 juin : Pétain nommé président du Conseil.

17 juin : demande d’armistice de Pétain aux Allemands.

18 juin : appel à la résistance du général de Gaulle, réfugié à Londres.

22 juin : signature de l’armistice franco-allemand à Rethondes (Oise).

10 juillet : vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain par le Parlement.

3 octobre : promulgation du Statut des Juifs, devenus des « sous-citoyens ».

24 octobre : conclusion d’une collaboration politique entre Pétain et Hitler à Montoire (Loir-et-Cher).

1942

20 janvier : conférence de Wannsee ordonnant la « Solution finale de la question juive ».

29 mai : obligation pour les Juifs de porter l’étoile jaune.

16-17 juillet : rafle du Vel’d’Hiv’ concernant 13.000 Juifs internés au camp de Drancy avant déportation.

1944

2 juin : formation d’un Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).

6 juin : débarquement allié en Normandie (opération Overlord).

9 août : ordonnance annulant tous les actes législatifs du gouvernement de Vichy.

15 août : débarquement allié en Provence (opération Dragoon).

25 août : libération de Paris.

1945

12 février : accords de Yalta (Etats-Unis, URSS, Angleterre réunis en l’absence de la France).

30 avril : suicide de Hitler.

8 mai : capitulation de l’Allemagne à Berlin (fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe).

23 juillet - 14 août : procès du maréchal Pétain.

2 septembre : capitulation du Japon, après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki (fin de la Seconde Guerre mondiale).

Années 1950

1950 : loi d’amnistie en faveur des collaborateurs sanctionnés dans le cadre de l’épuration légale.

1956 : film-documentaire d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard.

Années 1960

1961 : livre de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe. Procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem.

1964 : transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.

1967 : guerre israélo-arabe des Six-Jours.

Années 1970

1971 : film-documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié.

1973 : livre de Robert Paxton, La France de Vichy.

1979 : diffusion à la télévision américaine du téléfilm Holocaust.

Années 1980

1985 : film-documentaire de Claude Lanzmann, Shoah.

Années 1990

1990 : loi Gayssot réprimant le négationnisme et l’antisémitisme.

1993 : décret instituant le 16 juillet journée commémorative des persécutions antisémites commises sous Vichy.

1995 : reconnaissance officielle par Jacques Chirac des crimes commis par le gouvernement de Vichy au nom de la France.

BIOGRAPHIES
Aron, Robert (1898-1975)

Intellectuel et historien français. Il propose le premier un travail historique sur le régime du maréchal Pétain, Histoire de Vichy (1954), largement remis en cause par l’ouvrage de Robert Paxton, La France de Vichy (1973).

De Gaulle, Charles (1890-1970)

Militaire de carrière, il devient sous-secrétaire d’Etat à la Guerre en 1940. Refusant l’armistice (juin 1940), il s’exile à Londres d’où il lance son « appel » (18 juin 1940) et mène les Forces françaises libres (FFL). Il unifie la Résistance par l’intermédiaire de Jean Moulin et réussit à s’imposer comme président du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) en 1944. Face aux réticences américaines, il agit pour faire reconnaître par les Alliés le statut de vainqueur à la France (obtention d’une zone d’occupation en Allemagne). Il s’oppose aux projets de Constitution de 1946, leur reprochant de faire la part belle au Parlement et aux partis, alors qu’il défend des institutions dont la clé de voûte serait le Président (discours de Bayeux, 1946). Il démissionne en janvier 1946, se retire de la vie politique et rédige ses Mémoires. Le « putsch d’Alger » de mai 1958 le ramène au pouvoir et il peut imposer une Constitution qui répond à ses vœux. Président jusqu’en 1969, il inaugure une certaine pratique des institutions de la Ve République qui renforce la place du Président dans la vie politique. Il dégage la France de ses dernières colonies africaines et met fin à la guerre d’Algérie en 1962. Il veut faire de la France une puissance moderne, indépendante sur la scène internationale (prise de distance avec l’alliance américaine, rapprochement avec les pays communistes et les Etats arabes). La crise de mai 1968 n’ébranle pas son pouvoir, mais, à ses yeux, sa légitimité. Il met sa démission dans la balance lors d’un référendum sur la réforme du Sénat en 1969 et démissionne après la victoire du « non ».

Malraux, André (1901-1976)

Ecrivain français. Il nourrit ses premiers romans des nombreux voyages réalisés dans les années 1920 (Indochine, Chine). D’abord engagé à gauche, il participe à la guerre d’Espagne dans les Brigades internationales aux côtés des républicains (1936). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans la Résistance et rencontre le général de Gaulle en 1945 dont il devient l’un des fidèles. Il joue un rôle important dans la création du RPF en 1945. En 1958, de Gaulle le nomme ministre des Affaires culturelles. Fondateur des Maisons de la culture, il met également en place un système d’aides à la création et joue le rôle d’ambassadeur de la culture française à l’étranger.

Moulin, Jean (1899-1943)

Ancien membre de cabinet ministériel sous le Front populaire (1936), Jean Moulin est préfet d’Eure-et-Loir à partir de 1937. En 1940, il refuse de signer un texte présenté par les Allemands, accusant d’atrocités les troupes françaises originaires des colonies. Révoqué par Vichy, il rejoint la France libre à Londres en 1941. De Gaulle lui confie la tâche, qu’il remplira avec patience, d’unifier la Résistance française. Parachuté dans la zone Sud, il crée, en 1943, les Mouvements unis de Résistance et le Conseil national de la Résistance qu’il préside. Le 21 juin 1943, à la suite d’une trahison, il est arrêté par la Gestapo à Caluire, près de Lyon. Torturé par Klaus Barbie, il meurt héroïquement sans avoir parlé, lors de son transfert en Allemagne. Ses cendres reposent au Panthéon depuis 1964.

Papon, Maurice (1910-2007)

Homme politique et haut fonctionnaire. Secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, il organise pendant l’Occupation la déportation des Juifs de Gironde. Il poursuit sa carrière après la Libération, notamment comme préfet de Police à Paris, puis comme ministre. Son passé sous Vichy est révélé par la presse en 1981, mais ce n’est qu’en 1998 qu’il est condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement pour complicité de crimes contre l’humanité.

Pétain, Philippe (1856-1951)

Pendant la Première Guerre mondiale, le général Pétain se distingue en organisant la défense de Verdun en 1916 et en rétablissant la discipline en 1917. Promu maréchal en 1918, il bénéficie d’une extraordinaire popularité. En 1934, il est ministre de la Guerre. En 1939 et 1940, il est ambassadeur de France en Espagne auprès de Franco. En juin 1940, à 84 ans, il forme le gouvernement et conclut l’armistice avec les Allemands. Chef de l’Etat français, il met en place la Révolution nationale et la Collaboration. Mais, il ne peut conserver l’indépendance de l’Etat français, qui devient un satellite du Reich. En 1944, après le Débarquement, il est transféré par les Allemands à Sigmaringen, en Allemagne. En 1945, il est condamné à mort et sa peine est commuée en détention perpétuelle à l’île d’Yeu, où il meurt en 1951.

Klarsfeld, Serge (1935...)

Avocat et historien français. Fils de déporté, il a consacré sa vie à la poursuite des responsables allemands et français de la déportation des juifs de France et à l’écriture de l’histoire de la Shoah.

Veil, Simone (1927…)

Rescapée d’Auschwitz, elle devient magistrat et entre en 1974 au gouvernement comme ministre de la Santé. Elle est chargée de préparer la loi qui porte son nom sur l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle préside le Parlement européen de 1979 à 1982 et la Fondation pour la mémoire de la Shoah de 2000 à 2007. Elle est élue à l'Académie française en 2008.

[1] La loi du 20 mars 1953 déclare jour férié le 8 mai, anniversaire de la capitulation allemande de 1945. En 1959, toutefois, le général de Gaulle supprime le jour férié. En 1975, le président Valéry Giscard d’Estaing décide de ne plus célébrer cet anniversaire par volonté de réconciliation avec l’Allemagne. Après l’élection de François Mitterrand, en mai 1981, une loi fait de nouveau du 8 mai un jour férié.

[2] Après le débarquement du 6 juin 1944, l’armée allemande, contrainte au repli de ses troupes, s’est livrée par endroits à de terribles représailles : ainsi, dans le Limousin, la population du village d’Oradour-sur-Glane est entièrement massacrée le 10 juin 1944 par un détachement de la division SS Das Reich : 642 personnes y sont fusillées ou brûlées vives.

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